Le journal de Sophie


Changer de narrateur

Le début du journal de Sophie


Semaine du 13 au 19 août 2001
La même semaine vue par Viviane Nicolas Luc

Le charme d'une île

Cette semaine, j'ai décidé d'arrêter de ronchonner! (Bonne nouvelle!)

Il y a des rendez-vous manqués, et de toute évidence ç'a été le cas entre nous et la Nouvelle-Ecosse. Et, heureusement, il a des rencontres réussies. Nous venons de passer une semaine amusante, instructive, agréable, et tout ça, à l'Ile du Prince Edouard.

Cette île est la plus petite des Provinces Canadiennes: elle ne compte que 150.000 habitants environ répartis sur 5.500 kilomètres carrés... Si on la ramenait à une forme géométrique simple, ce pourrait être un rectangle de 100 kilomètres sur 55! Donc, une grosse île, mais une toute petite province...

C'est justement de cela qu'il est question, de province. Une atmosphère toute provinciale baigne cet île tranquille au climat agréable, fortement influencée par l'origine celtique de sa population. La capitale, Charlottetown, est une ravissante petite ville de 32.000 habitants, où les vastes maisons de bois d'architecture victorienne se parent de couleurs éclatantes, le long de rues tranquilles et de parcs aux arbres majestueux... Le reste de l'île ne compte que des villages, des bourgs et des fermes. Mais c'est une terre cultivée, presque dans ses moindres recoins, et les parcelles de pommes de terre, de céréales, de prés, composent un ravissant patchwork vallonné, se découpant sur le bleu cobalt de la mer.

Une des caractéristiques de l'Ile, c'est la couleur rouge brique de ses côtes. Un grès assez tendre forme partout de mini-falaises qui alternent avec des plages de sable rouge (souvent un peu vaseux il faut l'avouer). Tous les chemins de terre arborent cette même couleur, et on vend même des tee-shirts colorés par trempage dans la boue rouge de l'Ile... Mais rassurez-vous, il y a aussi des plages de sable blanc, sur la côte Nord essentiellement, là où de larges cordons dunaires forment une multitude de lagunes, de baies, et d'étangs littoraux.

Qu'a donc l'Ile du Prince Edouard, que n'a pas la Nouvelle-Ecosse? Deux choses essentielles: un meilleur climat, et un paysage façonné par l'homme, tout en restant très agricole et très "pastoral". Une sorte d'enclave presque idyllique dans une Amérique du Nord partagée, sans juste milieu, entre des zones urbanisées et industrielles et des zones complètement sauvages; quelque chose de rare et de simple à la fois, qu'on pourrait appeler l'harmonie entre l'homme et la nature, si l'on ne craignait pas d'être trop pompeux.

Lorsque les cajuns de Louisiane rêvent de leur Acadie, ils la voient comme un vrai paradis terrestre, une terre d'abondance et de beauté. Franchement, avec la meilleure volonté du monde, difficile de voir cela dans la Nouvelle-Ecosse. Mais ça pourrait bien être vrai dans l'Ile du Prince Edouard.

Avant l'arrivée des Européens, les indiens Micmacs habitaient dans l'Ile. Ils l'appelaient Epekwitk. Dans leur mythologie, l'envoyé du créateur, Glooscap, avait déposé ce morceau du firmament dans les eaux calmes du Golfe du Saint-Laurent pour y loger les créatures qu'il avait faites à son images, les hommes... Leurs croyances présentaient tellement de points communs avec celles des Chrétiens que lorsqu'un missionnaire français les réunit pour leur expliquer sa foi, les Micmacs lui répondirent: "Nous sommes heureux de voir que vous croyez en la même chose que nous...". L'envoyé du créateur, Glooscap, avait en effet une certaine ressemblance avec Jésus... Les Micmacs se "convertirent" facilement à la religion catholique, et eurent apparemment de bonnes relations avec les Français, comme avec les Acadiens qui vinrent s'établir dans l'Ile à partir de 1720. Les Français rebaptisèrent l'Ile "Saint-Jean", et y établirent la forteresse de Louisbourg pour protéger leurs établissements contre les Anglais.

Dans l'Acadie (actuelle Nouvelle-Ecosse) voisine, aux mains des Anglais depuis 1713, la pression s'accentuait: on pressait les Acadiens de prêter serment d'allégeance à la couronne britannique, ce qu'ils s'étaient toujours refusé à faire, préférant la neutralité. Beaucoup d'Acadiens se réfugièrent alors à l'Ile St.-Jean, toujours française à l'époque, et entre 1748 et 1756, année qui suivit la déportation des Acadiens de Nouvelle-Ecosse, la population de l'Ile St.-Jean passa de 735 habitants à 4.400! Les conditions n'étaient pas faciles, car les terres défrichées n'étaient pas assez nombreuses pour nourrir toute cette population, et bientôt, la forteresse de Louisbourg tomba aux mains des Anglais, en 1758... S'en suivit une nouvelle déportation: 3500 des Acadiens de l'Ile furent déportés...

Quelques familles réussirent à se cacher dans l'Ile, ils constituèrent un noyau auquel vinrent s'ajouter d'autres Acadiens revenant de l'exil. Ils survécurent dans l'Ile dans des conditions matérielles qui firent dire à l'arpenteur britannique Samuel Holland que leurs maisons étaient "pires que les wigwams des Indiens". L'Ile du Prince Edouard fut découpée en "lots" qui furent offert en cadeaux à des "landlords", en signe de reconnaissance ou de distinction, par le Roi (George III?). Les Acadiens se virent sommés de payer une rente sur le produit de leurs fermes. Lorsqu'ils ne parvenaient pas à payer, ils n'avaient d'autre choix que de partir défricher un autre lot pour un autre Landlord, qu'ils espéraient moins cupide.

L'Ile fut petit à petit peuplée par des immigrants venus d'Ecosse et d'Irlande, qui constituent maintenant plus de 80% de la population de l'Ile. Les Acadiens, eux, sont toujours là, et ont pris une part active à la renaissance de la "fierté acadienne". C'est en effet à Miscouche, dans l'Ile du Prince Edouard, que le 2ème Congrès National des Acadiens se choisit un drapeau, un hymne national et une devise: "l'union fait la force".

Si je parle peu des 80% à 90% d'anglophones, et beaucoup des 10 à 20% d'Acadiens, c'est surtout parce que les circonstances ont fait que j'en ai plus appris sur eux. Nous avons eu la chance de passer la fête du 15 août, fête nationale des Acadiens, avec la petite communauté acadienne de Charlottetown. Nous avons appris à l'occasion qu'on allait bientôt dévoiler, au Musée Acadien de Miscouche, une plaque avec les paroles françaises de l'hymne national acadien, ce qui nous a permis de jouer encore une fois les pique-assiette... et de venir partager avec eux un petit moment d'histoire.

Mais, à priori, je pense que j'aurais aussi apprécié les descendants des immigrants écossais et irlandais, qui ont gardé vivante la tradition des "Ceilidhs", soirées musicales où tout un chacun y va de sa petite gigue ou de sa chanson traditionnelle. L'Ile compte d'ailleurs un nombre impressionnant de musiciens professionnels, compte tenu de sa petite taille, et ce, autant côté anglophone que côté francophone.

Il y aurait tant de choses à raconter encore! Ce que sont devenus les Micmacs... Comment une petite fille à tresses rousses attire, des antipodes, des touristes japonais venus spécialement pour elle... Comment l'idée du Canada, pays tout jeune, âgé d'à peine un peu plus qu'un siècle, est née à Charlottetown d'une succession de banquets et de beuveries... Pourquoi j'ai failli mourir de rire en visitant le Centre des Arts de Charlottetown... Comment un vaisseau fantôme apparaît parfois, dans le détroit de Northumberland, entre l'Ile et le Nouveau-Brunswick, dévoré par des flammes gigantesques, avant de disparaître dans le brouillard, aussi mystérieusement qu'il est apparu...

A quoi tient le charme d'une île? De ce qu'elle est une île, pardi!, et que, dans son isolement propice à la rêverie, les petites histoires que l'on conte à la veillée deviennent une part de la Grande Histoire du Monde.

Semaine du 13 au 19 août 2001
La même semaine vue par Viviane Nicolas Luc


Semaine du 20 au 26 août 2001
La même semaine vue par Viviane Nicolas Luc

La côte acadienne

Cette semaine, nous voilà de retour au Nouveau-Brunswick. Nous avons tranquillement remonté vers le Nord en suivant la "Côte Acadienne", celle qui donne sur le Golfe du Saint-Laurent et la Baie des Chaleurs...

Je m'attendais à n'entendre parler que le Français, mais j'ai découvert qu'il y avait d'importants îlots anglophones le long de cette côte. Lorsqu'on arrive en territoire acadien, on le sait tout de suite: les maisons sont en effet pavoisées aux couleurs de l'Acadie, les inscriptions deviennent souvent unilingues francophones, et on trouve des panneaux à l'entrée des municipalités du genre: "Caraquet respire un parfum de francophonie".Ou encore: exigez un service de qualité, exigez un service en Français!

La Côte Acadienne est assez privilégiée côté climat, car elle longe le détroit de Northumberland, la séparant de l'Ile du Prince Edouard, et la Baie des Chaleurs, la séparant de la Gaspésie (Québec), dont les eaux peu profondes reposant sur des fonds souvent rouge sombre se réchauffent très bien au cours de l'été, même si elles se couvrent de glace en hiver. On peut donc s'y adonner aux joies de la baignade, activité réservée aux masochistes dans le reste du Canada Atlantique (vous êtes vous déjà plongés dans une eau à 10°C, voire 4°C?).

Ces fonds sablonneux regorgent de formes de vies, telles de petites crevettes, des Gastéropodes appelés Lunaties, ou encore des bernard-l'ermite.

Cependant, le temps se refroidit déjà, et nous avons trouvé plus de plaisir dans la visite de quelques attractions locales comme l'aquarium de Shippagan (voir page de Viviane), ou le village historique acadien de Caraquet (voir page de Nicolas).

Beaucoup de gens semblent vivre de la pêche sur cette côte, le tourisme ne constituant qu'un apport supplémentaire, et un bon débouché au produit local principal: le homard! La vision typique de la côte acadienne, pour moi, c'est une maison aux murs et au toit de bardeaux, avec, sur le côté, une grosse pile de casiers à homards, joliment faits de lattes de bois sur une armature de branches courbées. J'ai lu quelque part que les homards ne supportent pas le métal, et que pour cette raison les casiers doivent, encore maintenant, être faits de bois.

Les gens ici semblent pêcher encore en famille, sur de petits bateaux. Ils fabriquent pour la plupart encore eux-mêmes leurs casiers, et on peut les voir réparer leurs filets, le soir, après la pêche, ou encore le dimanche, assis dans leurs jardins, de même qu'on peut voir, étendus sur presque toutes les pelouses, les filets de coton sécher au soleil...

Les paysages tout au long de la côte sont agréables, même s'ils n'ont rien d'extraordinaire. Là où ça devient vraiment beau, c'est en arrivant sur la Baie des Chaleurs, car les montagnes de la Gaspésie dessinent, de l'autre côté de la Baie, un décor particulièrement joli, surtout lorsque le ciel au couchant se pare de couleurs éclatantes... La montagne et la mer, un joli mariage!

Un endroit en particulier m'a tenue sous son charme, il s'agit de la pointe de l'Ile Miscou, tout au bout de la Péninsule Acadienne. Cette bande de terre et d'îles s'enfonce en effet vers le Nord, en direction de la Gaspésie. Si les îles sont froides et couvertes de tourbières (elles-mêmes infestées de moustiques, cela va de soi), en arrivant tout au bout, près du phare, on a pu découvrir un point de vue magnifique sur la Gaspésie toute proche. Le soleil se couchait justement, et l'écume des vagues se teintait de pourpre et d'orangé. L'air était très pur, et les montagnes se découpaient avec précision sur le ciel. Le phare lançait ses signaux lumineux en silence, tandis que, peu à peu, les lumières des villages gaspésiens s'allumaient au loin.

Un peu plus tard, en sortant avec les enfants pour nous rendre aux toilettes du phare, nous sommes restés bouche bée en découvrant le dôme constellé au-dessus de nos têtes, devant lequel tournaient, comme les pales d'un hélicoptère gigantesque, les huit faisceaux blancs du phare. Sur la mer, ces faisceaux accrochaient l'écume de vagues et ressemblaient à une ronde de fantômes à la poursuite les uns des autres. On se sentait dans un autre monde, un peu étrange, mais rassurant, par la présence de ce géant silencieux dont les rayons semblaient nous protéger. Nous avons passé là une de ces belles nuits, de ces nuits magiques, qui nous remplissent le coeur de souvenirs merveilleux, et qui vous expliquent pourquoi vous êtes partis si loin de chez vous.

Semaine du 20 au 26 août 2001
La même semaine vue par Viviane Nicolas Luc


Semaine du 27 août au 2 septembre 2001
La même semaine vue par Viviane Nicolas Luc

Un autre Finistère...

Adieu Nouveau-Brunswick, re-bonjour le Québec! Du côté Nord de la Baie des Chaleurs, nous revoilà au Québec. Mais la météo est contre nous, et la pluie et le brouillard nous empêchent de voir le paysage. Le temps aussi est contre nous, car nous ne pouvons pas trop nous attarder, les cours des enfants ont dû arriver à Québec, et il va falloir qu'ils reprennent leur travail scolaire d'ici peu.

Du fond de la Baie jusqu'à Percé, donc, nous avons roulé sans presque nous arrêter. Et sans presque rien voir. Mais la visite de la Gaspésie, c'est surtout l'occasion de faire le point sur le fait important de l'histoire de la région, à savoir la pêche à la morue.

Tout le monde en a entendu parler: les bancs de Terre-Neuve, la Grande Pêche... Si toutes les Provinces maritimes ont été impliquées dans cette histoire, c'est encore en Gaspésie que cette pêche a laissé le plus de traces. En effet, dans l'Ile du Prince Edouard et au Nouveau-Brunswick, la pêche au homard a fait un peu oublier le temps de la morue. Ici, en Gaspésie, on pêche encore la morue, et on la sale, et on la sèche, exactement comme au siècle dernier.

Ainsi, en suivant la côte de Gaspésie, on ne voit plus guère les grosses piles de casiers à homards qui entourent les maisons de la côte acadienne. Mais nous avons pu visiter l'usine de Sainte-Thérèse de Gaspé où l'on fabrique la morue salée-séchée selon les techniques ancestrales, même si on a ajouté récemment aux activités de l'usine la transformation du hareng, poisson qui abonde pendant environ 4 semaines en fin d'été.

Au Parc National Forillon, tout au bout de la Péninsule, c'est encore l'histoire de la morue que l'on raconte à travers les expositions, les bâtiments restaurés, les photographies... Nicolas en parle très bien dans sa rubrique, aussi je n'en dirai pas plus.

Un peu d'histoire... Quand Jacques Cartier prit officiellement possession du "Canada" au nom du Roy de France, en 1534, il était loin d'être le premier français à naviguer sur ces côtes... Depuis un bon moment en effet, des pêcheurs (basques, bretons) venaient passer l'été sur les bancs du Golfe Saint-Laurent. Arrivés au printemps, ils s'installaient de part et d'autre du détroit de Belle-Isle qui sépare Terre-Neuve du Labrador, pour y faire la pêche et préparer leurs poissons, avant de repartir à l'automne vers l'Europe, les cales chargées de morue salée-séchée. Jacques Cartier lui-même avait très certainement fait plusieurs fois le voyage aux Amériques avant cette année 1534...

Malgré tout, on considère que le "Canada français" est né lorsque Jacques Cartier a fait dresser, au fond de la baie de Gaspé, une grande croix portant l'inscription: "Vive le Roy de France", le 24 juillet 1534. (On passera sous silence le fait qu'il avait fait dresser une telle croix un mois plus tôt dans un autre site, près du détroit de Belle-Isle. Cette région du Labrador est située si loin de tout qu'elle ne sera jamais un site touristique de toutes façons!) Un musée est censé commémorer cet événement historique dont on ne cesse de voir, ici, des représentations aussi stéréotypées que les fameuses images d'Epinal, bien que déclinées sous diverses formes (tableaux géants, statues de cire...). Le "Musée de la Gaspésie", que nous avons commis l'erreur de visiter, possède en effet une salle consacrée aux voyages de Jacques Cartier au Canada. Cependant, les informations y sont très succinctes, et le reste du Musée est encore rempli de ce genre d'oeuvres d'art qui provoquent chez moi d'irrépressibles crises de fou-rire. Quant à Jacques Cartier lui-même, on ne sait même pas à quoi il ressemblait, puisqu'aucun authentique portrait de lui n'existe. Les artistes se bornent donc à reproduire le visage que lui a donné le premier peintre à avoir représenté "Jacques Cartier à Gaspé", à une époque où le Canada en mal de passé se créait, laborieusement, ses propres "mythes fondateurs". J'ai noté que le crâne de Jacques Cartier a été retrouvé dans une Basilique de Saint-Malo, je trouverais intéressant qu'on demande aux spécialistes compétents (vous savez, ceux qui sont capables de reconstituer, à partir du crâne et de ses insertions musculaires, la musculature du visage) de retrouver les véritables traits de cet homme illustre pour qu'on puisse enfin savoir à quoi il ressemblait. Mais je doute que par ici les gens veuilllent voir s'écrouler un des fondements de leur identité... Défigurer Jacques Cartier! Impensable!

Globalement, je ne peux pas dire que j'aie beaucoup apprécié Gaspé... Malgré la présence d'un site Micmac traditionnel reconstitué intéressant à visiter, la ville est plutôt morne et moche.

Heureusement, nous avions passé quelques jours très agréables à Percé et à l'Île Bonaventure juste avant, aussi on peut dire qu'on n'est pas allé en Gaspésie pour rien. Percé est en effet un charmant petit village situé dans un cadre exceptionnel, où la montagne vient littéralement se jeter dans la mer. D'immenses falaises formées par des strates géologiques dressées à la verticale forment des paysages grandioses, réellement "à couper le souffle". Jusque là, ce genre de commentaire (qui émaille nos guides touristiques) nous avait plutôt fait ricaner. On se disait que les pauvres auteurs de ces guides n'avaient pas dû voir grand chose dans leur vie! Mais là, oui, on était impressionné. L'énorme rocher percé avec son arche naturelle, les milliers de Fous de Bassan qui nichent dans l'Île Bonaventure, les centaines de phoques qui barbotent dans ses eaux, tout cela présente décidément beaucoup d'attraits, et mérite le déplacement. Comme Viviane et Luc en parlent fort bien, je ne m'étend pas dessus.

Outre la vue sur le fameux rocher, la petite jetée de Percé présente un autre intérêt: lorsque le soir descend, des bancs de maquereaux s'approchent en effet de la côte, et on peut y faire à peu de frais une pêche miraculeuse... Difficile de résister à une partie de pêche où on ramène un poisson toutes les cinq minutes, d'autant qu'on trouve sur place en location pour $5 tout le matériel nécessaire. Nous, encore plus malins, on a même réussi à obtenir notre souper rien qu'en récupérant les poissons que des touristes français nous ont donnés, après avoir réalisé qu'ils ne pourraient jamais manger tous ceux qu'ils avaient attrapés...

Le Parc national Forillon, situé au Nord de la Baie de Gaspé, est également assez agréable à visiter, quoiqu'un peu cher... Si les paysages sont beaux, ils n'ont cependant rien d'exceptionnel, le principal intérêt réside dans les musées consacrés à l'histoire de la pêche à la morue, qui sont très bien faits.

Par ailleurs, une visite guidée d'un barrage et d'une hutte de castor nous a permis d'observer ce sympathique rongeur de très près. Le castor est un des symboles du Canada, les autres symboles du Canada étant le Huart à collier (plongeon imbrin), l'Orignal (Elan d'Amérique), le Caribou (Renne), l'Ours noir, la feuille d'Erable rouge, le sirop d'Erable et la neige. Comme c'est poétique! Le Canada est un pays virtuel qui a réussi à se créer de toutes pièces une image de marque internationale sympathique et attrayante. Tout le monde rêve d'aller au Canada. Personne ne déteste le Canada. Personne n'en veut aux Canadiens, comme on peut en vouloir, par exemple, aux Américains... Même les Américains aiment les Canadiens: en fait, ils nous considèrent comme des cousins un peu simplets, gentillets et peu dérangeants.

Les Canadiens sont fiers d'avoir pour symbole le Castor, animal pacifique, tolérant, travailleur... Mais de tout ça, le castor, lui, il s'en fout. La seule chose qui le préoccupe, c'est d'entretenir son barrage, de colmater inlassablement toutes les fissures par lesquelles l'eau de son petit lac pourrait s'échapper, le laissant, lui et ses petits, à la merci d'un prédateur comme le Renard ou l'Ours noir... Si le castor est plutôt nocturne, on peut le faire sortir à toute heure de sa hutte, rien qu'en lui passant un enregistrement... Non, pas l'hymne national (Ô Canada), mais, beaucoup plus prosaïquement, le bruit de l'eau qui coule! Immédiatement, il vient inspecter son barrage pour le réparer!

Sympathique petit animal, donc. Si vous ne l'avez déjà fait, vous pourrez apercevoir son joli minois dans la rubrique "photos de la semaine". A plus!

Semaine du 27 août au 2 septembre 2001
La même semaine vue par Viviane Nicolas Luc



Semaine du 3 au 9 septembre 2001
La même semaine vue par Viviane Nicolas Luc

En remontant le Saint-Laurent

Cette semaine nous avons tranquillement remonté le cours du fleuve jusqu'à Québec. Les vacances sont finies... Mais avant de reprendre le travail avec les enfants, nous avons bien profité encore de cette dernière semaine de farniente.

Le bout de la péninsule Gaspésienne, avec Percé et la Parc Forillon, baigne dans les eaux du Golfe Saint-Laurent, cette sorte de mer isolée de l'Atlantique Nord par la Nouvelle-Ecosse et Terre-Neuve. Seuls deux détroits permettent la communication avec le grand large. Celui de Belle-Isle, au Nord, est aussi la voie de passage du fameux courant froid du Labrador, qui introduit jusqu'à Tadoussac, à l'embouchure du Saguenay, une eau polaire à 4°C. En face de Tadoussac, ce courant froid et profond se heurte à une sorte de falaise sous-marine, remonte à la surface, entraînant avec lui une grande quantité de sels minéraux, et se mélange à l'eau douce de la rivière Saguenay et du fleuve St.-Laurent. Pour ceux qui connaissent le phénomène, c'est un "up-welling"... et c'est aussi un estuaire où se mélangent eau douce et eau salée. Ces deux phénomènes conjugués vous donnent une vraie soupe pour les baleines. La prolifération du phytoplancton entraîne en effet une prolifération de krill et autres animalcules dont les baleines raffolent. Aussi, le souffle des baleines est-il un spectacle commun le long du Saint-Laurent.

Tout en roulant vers l'amont, nous guettions donc la présence de ces grands Mammifères, et plus d'une fois nous avons pu les apercevoir au large. Nous nous arrêtions alors sur le bord de la route, tentant, dans nos jumelles, de distinguer les petites particularités qui nous permettraient de reconnaître Baleines bleues, Rorquals communs, Petits Rorquals et Baleines à Bosse... Nous avons même aperçu nettement la queue d'une Baleine à bosse qui "sondait", malgré la distance.

Nous avons quitté un moment le bord du Fleuve pour nous rendre au Parc de la Gaspésie, où nous étions attirés par la présence du seul troupeau de caribous sauvages au Sud du St.-Laurent. Ce que les prospectus se gardaient bien de révéler, c'est que le fameux troupeau se trouve au sommet d'une montagne (le Mont Albert) à laquelle on ne peut accéder que par un sentier de randonnée. Le dénivelé est de plus de 900 mètres, il faut compter 3 heures environ juste pour la montée, et on nous informe gentiment, au Centre des Visiteurs, que seul le mois de juillet est dépourvu de chutes de neige, sur ce haut plateau au climat arctique... Comme Luc n'a jusqu'à présent pas pu marcher plus de 45 minutes sans se plaindre amèrement de la fatigue, il était clair que les caribous étaient inaccessibles pour nous, en tout cas pour cette année. Mais il ne faut rien regretter, car le plateau du Mont Albert est très grand, et rien ne nous garantit, lorsqu'on arrive au sommet, que les caribous vont gentiment nous y attendre, à portée de jumelles.

Nous avons donc repris notre route le long du Fleuve. Lorsqu'on arrive vers Matane, la côte Nord, jusque là si éloignée qu'elle est invisible, se rapproche brusquement, et à partir de ce moment, le cours du fleuve se resserre lentement mais inexorablement, jusqu'à Québec.

Juste avant de quitter la Gaspésie, qui officiellement se termine (ou commence) à Sainte-Flavie, nous avons visité les célèbres jardins de Métis, à Métis-sur-mer. Ces jardins ont été créés par Madame Reford, une femme de la haute bourgeoisie anglophone de Montréal, qui avait là un "chalet" de vacances (le genre de "chalet" qui pourrait loger 4 ou 5 familles nombreuses...). Comme elle ne pouvait plus se livrer à ses activités préférées, la chasse, la pêche et l'équitation, à la suite d'une appendicite, elle avait suivi les conseils de son médecin en se lançant dans le jardinage. Ses descendants qui exploitent maintenant l'endroit ont le sens de la communication et du marketing, car ils ont réussi à attirer là d'innombrables touristes, qui payent une fortune pour "admirer" un jardin somme toute assez banal, et apprendre que Madame, après avoir pris dans sa chambre le petit déjeuner que lui apportait sa femme de chambre, descendait ensuite donner ses ordres pour les repas du midi et du soir, avant de foncer dans son jardin, la chère femme, où elle plantait des lis et autres jolies fleurs. L'après-midi, elle se reposait sur sa terrasse, tout en lisant quelque livre... Dans le "chalet", on expose quelques unes de ses robes, ou plutôt, de ses "toilettes", quelques échantillons de sa fine porcelaine importée d'Angleterre, etc.

Evidemment, le début du mois de septembre n'est peut-être pas le meilleur moment pour visiter ce jardin, qui est sans doute plus impressionnant en pleine saison des lis, les fleurs préférées de Madame. Mais alors, je trouve qu'on devrait moduler les tarifs en fonction de la saison! A mon humble avis, cependant, si vous entreprenez un jour le tour de la Gaspésie, quelle que soit la saison, vous pouvez vous dispenser de la visite des jardins de Métis, sans aucun remords!

Avec le sentiment un peu amer de s'être fait avoir, nous avons poursuivi la route vers Québec. Nous avons fait halte, comme à l'aller, près de Notre-Dame du Portage, à côté de Rivière-du-Loup. On perçoit le changement de région à l'architecture des villes et villages, car on commence à voir de nouveau de grandes églises de pierre aux toits couleur d'aluminium, ainsi que de grands bâtiments en pierre. (En Gaspésie, tout est en bois).

Cette région, que l'on nomme "le Bas Saint-Laurent", est le théâtre de couchers de soleil somptueux, grâce aux montagnes de la région de Charlevoix, sur la côte Nord, qui forment, en arrière-plan du Fleuve, un décor magnifique. L'orientation du fleuve, qui coule du sud-ouest vers le nord-est, achève de parfaire la configuration, car pendant toute la belle saison, le soleil se couche sur le Fleuve. Tout en constatant que le soleil se couchait maintenant bien plus bas vers le Sud, et en mesurant ainsi le temps écoulé depuis le début de notre tournée dans les Maritimes, je me disais, sans aucun chauvinisme ni parti-pris, que le Québec est bien ce qu'il y a de plus beau dans tout le Canada... Bien sûr, Charlottetown est un ville charmante... Bien sûr, les Acadiens sont bien sympathiques... Et les Anglophones du New Nouveau Brunswick sont vraiment charmants de faire tant d'efforts pour apprendre le Français. Je suis contente d'avoir vu à quoi ressemblent les Provinces Maritimes du Canada. Mais franchement, tout ce que j'ai vu de plus beau au Canada, jusqu'ici, je dis bien TOUT, se trouve au Québec. Et, à bien y penser, le Québec se trouve presque tout entier rassemblé, regroupé, serré, le long de cet immense fleuve St.-Laurent. Au lieu de chanter "Mon Pays, c'est l'hiver", Gilles Vigneault aurait peut-être mieux fait de clamer "Mon pays, c'est le Fleuve".

Bon, on va oublier un instant qu'il est tellement pollué que les Bélougas y sont en voie de disparition et que l'on traite leurs cadavres suivant le même protocole que les déchets hautement toxiques... On va oublier que ses eaux bleues roulent dans leurs vagues les innommables cochonneries que les Américains rejettent allègrement dans les Grands Lacs... Je vais même prétendre qu'Emmanuel ne me touche absolument pas lorsqu'il appelle MON fleuve "la pissotière des Etats-Unis".

Le Saint-Laurent est encore beau. Venez le voir un jour!

Semaine du 3 au 9 septembre 2001
La même semaine vue par Viviane Nicolas Luc



Du 10 au 30 septembre 2001
La même semaine vue par Viviane Nicolas Luc

C'est la fin!

Non, pas la fin du monde, quoique...

La fin du voyage, du moins pour l'instant. Et ça n'a rien à voir avec la situation aux Etats-Unis, non... En fait, on se préparait tranquillement à se rendre dans l'Ouest américain, voir enfin ce que tout le monde nous annonçait comme une expérience indescriptible: le Grand canyon, et aussi Yellowstone, et puis revoir la Californie et ses Séquoias géants... Les enfants avaient repris leur travail, et on n'attendait plus que les derniers cours en retard du CNED (les cours en retard sont une tradition au CNED). Pour tout arranger, Emmanuel avait reçu une convocation pour recevoir enfin son statut de résident permanent du Canada, ce qui allait nous permettre une plus grande liberté de mouvements...

Alors quoi? Un coup de cafard? Le mal du pays? L'envie irrépressible de manger un camembert? L'angoisse de ne pas voter aux prochaines élections?

Non, rien de tout ça. Il s'est tout simplement passé, au cours de la première semaine d'école des enfants, que diverses observations et informations stockées par ci par là dans ma mémoire ont brusquement fait "tilt", se sont combinées entre elles, telles les pièces d'un puzzle, tandis que j'entendais Luc lire "Clacule", au lieu de "calcule", et "ne" au lieu de "en". J'ai brusquement compris POURQUOI il n'aimait pas lire, pourquoi il avait longtemps dessiné ses 6 et ses 9 à l'envers, pourquoi il continuait à confondre les b et les d, les q et les p. Au cours de l'été, ces symptômes jusque là assez discrets (compensés par son travail acharné et son intelligence), avaient comme "mûri", et s'étalaient devant moi avec une telle évidence que je ne pouvais que le constater: Luc est dyslexique, ou plutôt, je préfère dire, Luc a un problème de dyslexie... ça paraît moins définitif vu sous cet angle.

Après avoir dévoré en un week-end tous les livres disponibles sur le sujet à la Bibliothèque de Québec, j'ai vu mon moral descendre au 36ème dessous. Il n'est pas particulièrement agréable de voir les traits de caractère de votre enfant étalés dans un tableau clinique, ni de constater que, si les théories sur l'origine de la dyslexie sont nombreuses, les méthodes de rééducation ne consistent en général qu'en des détours pédagogiques pour que l'enfant puisse "quand même" apprendre quelque chose.

Après avoir laissé à mon esprit le temps d'accepter les conséquences logiques de cette découverte, j'en suis arrivée à formuler clairement la conclusion de tout ça, à savoir: nous rentrons en France, pour permettre à Luc de suivre une rééducation, et consacrer tout notre temps, notre énergie et notre amour à le tirer de ce mauvais pas.

Ce n'est pas la fin du monde, ce n'est même pas vraiment grave, j'aurais mauvaise grâce à me lamenter quand je sais que d'autres parents sont confrontés à des situations autrement stressantes. Il paraît que 5 à 10% des enfants souffrent de dyslexie, ce qui m'a fait honte en constatant que jusqu'à présent je ne m'y étais pas vraiment, vraiment, intéressée à fond. Il est vrai que le cas les plus graves de dyslexie, ceux qu'aucune rééducation n'avait pu "guérir", ce n'est pas au Lycée que je risquais d'en voir.

Alors, on tourne la page et on entame une autre période dans notre vie. Le voyage est fini... pour le moment.

Merci à ceux et celles qui nous ont fait l'honneur de nous accompagner dans nos périples, vos petits mots d'encouragement et de félicitations nous ont beaucoup touchés et nous avons été heureux de partager un peu avec vous nos découvertes et nos bonheurs.

Pour ceux que nous allons bientôt revoir je dis "à bientôt", et pour les autres, notre adresse électronique reste la même, vous pouvez toujours nous joindre pour un petit bonjour... et si vous partez au bout du monde... envoyez-nous une carte postale S.V.P.!

Du 10 au 30 septembre 2001
La même semaine vue par Viviane Nicolas Luc




Le journal de Sophie - 2002



Semaine du 16 au 22 juin 2002
La même semaine vue par Viviane Nicolas Luc

I'll be back!

Eh bien, nous voici de nouveau sur les routes, pour la continuation de notre voyage malencontreusement interrompu l'année dernière. Par un curieux effet de la mémoire, il a suffi de remettre les pieds à Québec pour que les neuf mois passés loin d'ici rétrécissent et paraissent soudain n'avoir duré que quelques jours. Il me semble que c'était hier que nous avons découvert que Luc était dyslexique, et que nous avons, en quelques jours, radicalement modifié nos projets pour lui permettre de suivre une rééducation.

Nous avions quitté la France sous une mini canicule, Québec nous a accueillis avec un temps frais, gris, légèrement pluvieux et venté. Il soufflait comme un vent du large, juste ce qu'il faut pour sentir sa poitrine se gonfler dans l'attente de mettre les voiles et de tracer à nouveau sa route vers l'inconnu.

Cette fois-ci cependant, le temps nous est compté, car nous devrons être de retour début septembre pour poursuivre la rééducation de Luc et permettre à Nicolas de suivre ses cours en 1èreS dans l'un des lycées d'Alençon. Raison de plus pour en profiter... mais pas au détriment de ce mode de vie qui consiste à vivre jour après jour sans se fixer d'objectifs trop à l'avance.

C'est le luxe absolu de ce genre de voyage, ce sentiment sans cesse renouvelé que nous sommes libres, chaque jour, de choisir ce que nous allons en faire. Alors il ne faut pas le gâcher.

Pour l'instant, par exemple, rien ne me fait plus plaisir que cette escale à Québec, une petite semaine pour décompresser, préparer le camping-car à son nouveau voyage, et prendre le temps de savourer le plaisir d'être rentré "chez nous". Visites à la famille, et promenades un peu nostalgiques dans cette ville où tout me parle de ma mère, de mon père... Prendre l'autobus et me laisser bercer par ces voix familières, cet accent rassurant, qui me donne l'impression de retourner à ma source. C'est comme si tout autour de moi me murmurait: "N'oublie pas d'où tu viens... N'oublie pas qui tu es..."

Alors, pas d'aventures mirobolantes à raconter cette semaine. Juste du temps passé avec Romain (mon frère), à un moment où sa vie prend un nouveau tournant, puisqu'il vient de décider d'abandonner sa "carrière" de professeur d'histoire pour retenter (et cette fois-ci, avec succès, j'en suis sûre) une carrière artistique, essentiellement tournée vers le théâtre et le chant. Il passait une audition cette semaine, et apparemment il y a des projets à la clé... Il était, parait-il, exactement l'homme qu'ils recherchaient... Alors on croise les doigts bien fort pour lui!

Viviane, dans sa page, vous parle aussi du spectacle dont il a écrit le texte... Aussi je n'y reviens pas.

Maintenant, tout est paré pour le départ vers l'Ouest américain. On devrait décoller dès lundi, qui est par ailleurs le jour de la Saint-Jean, fête nationale des Québécois.

Notre prochaine semaine sera probablement surtout occupée par de la route... car la route est longue.

A bientôt!

Semaine du 16 au 22 juin 2002
La même semaine vue par Viviane Nicolas Luc


Semaine du 23 au 29 juin 2002
La même semaine vue par Viviane Nicolas Luc

GO WEST!

Voilà ce qu'on disait aux jeunes gens ambitieux, autrefois, lorsqu'il existait encore la mythique "frontière" entre le monde dit civilisé et celui, encore "sauvage" des indiens et de la nature vierge...

Cette semaine est celle de notre migration vers l'Ouest. Nous roulons à 80 Km à l'heure sur une Interstate régulière, plane et plate, après avoir louvoyé un peu à travers la région des grands lacs. Plutôt que de passer par le Sud, et ses grandes concentrations urbaines, nous avons choisi de passer par l'Ontario, ce qui était assez charmant en fin de compte. Paysages de lacs et de forêts, petites villes tranquilles.

De même, le Michigan et le Wisconsin ont déroulé autour de nous leurs paysages champêtres. Nous avons longé pendant un bon moment le lac Michigan.

Le temps était agréable, ensoleillé et frais (la région des grands lacs est connue pour son climat tempéré). Nous avons pu admirer deux couples de grues du Canada, qui nichent pour la plupart plus au Nord, mais dont l'aire de nidification recoupe, sur une petite portion, les zones habitées par l'homme, dans cette région.

Ce sont des oiseaux d'une grâce extraordinaire, comme toutes les grues d'ailleurs. On comprend qu'elles soient considérées comme des oiseaux sacrés au Japon (si je ne m'abuse).

Avec le Minnesota, nous entrons dans le Middle-west, les anciennes "Grandes plaines" où paissaient les immenses troupeaux de bisons. Aujourd'hui, c'est champs de maïs à perte de vue. La fameuse "Corn Belt". Ah, ils peuvent en manger, des corn flakes et du pop-corn, les Américains! Ils ne sont pas près d'en manquer! Mais pour être tout à fait franche, à cette latitude, on ne voit pas que du maïs. Il y a d'autres céréales, ainsi que des bovins et même des bisons d'élevage.

Les pionniers américains avançaient au rythme des chariots tirés par des boeufs ou des chevaux, sur des pistes cahoteuses et poussiéreuses... Nous roulons sur une route confortable dans de grandes et plates étendues agricoles parsemées de fermes et de silos, dont la douce monotonie n'est rompue que par des conglomérats de stations d'essence, de fast-foods variés.

Non, il n'y a pas que des Mac Do, il y a aussi des Taco Bell (tortillas et Cie), des Kentucky Fried Chicken (poulet enrobé de pâte frite... estomacs délicats s'abstenir), des Hardee's, Burger King, Pizza Hut, etc.

La chaleur est parfois vraiment pénible, heureusement il y a du vent. Samedi nous n'avons pu résister à la vue d'un arrosoir automatique de pelouse, dans une "rest area" (aire de repos). On s'est mis en maillots et on est allé se rafraîchir un peu.

Et c'est là qu'on se dit que le bonheur tient à peu de chose: un peu de fraîcheur quand on est en train de crever de chaud... Mais j'arrête là car cela me semble une définition un peu tristounette du bonheur: l'arrêt provisoire d'une souffrance... Dans ce cas le bonheur ne serait que l'absence de souffrance, ce qu'un écrivain québécois a exprimé ainsi: "le bonheur, c'est le temps que dure la surprise d'avoir cessé d'avoir mal". Il s'agit de Réjean Ducharme, et je remercie Jeanne Crépeau (la célèbre cinéaste), de m'avoir récemment rappelé cette citation toujours utile à placer dans une conversation.

J'arrête là les considérations philosophiques. Ce n'est pas pour ça qu'on est payé! Cela dit, à part philosopher, les grandes plaines n'offrent pas beaucoup d'occasions d'utiliser son cerveau. Cela devrait bientôt changer, puisque la semaine prochaine, nous serons à pied d'oeuvre, prêts à découvrir les merveilles des Grands Parcs de l'Ouest....

A bientôt donc

Semaine du 23 au 29 juin 2002
La même semaine vue par Viviane Nicolas Luc


Semaine du 30 juin au 6 juillet 2002
La même semaine vue par Viviane Nicolas Luc

"Parle Avec Le Vent"

Nous voici enfin arrivé dans l'Ouest américain, après une migration qui nous a paru interminable. Passons sous silence, ou presque, notre visite du "Corn Palace" (le palais de maïs), seule attraction à 200 Km à la ronde au centre du Dakota du Sud.

Autrefois, c'était une grande halle entièrement en bois et en rafles de maïs, mais aujourd'hui, normes de sécurité oblige, ce n'est qu'un grosse salle polyvalente en brique et acier, décorée à l'intérieur comme à l'extérieur par de fresques murales en maïs. Le tout n'est pas vraiment réussi, et le seul intérêt est de fournir une halte le long d'une route dénuée de tout intérêt.

La première vraie visite a donc été celle du Mont Rushmore, dans l'Ouest de l'Etat du South Dakota. Pour ceux qui l'ignorent, il s'agit de cette montagne où sont sculptées les têtes de 4 présidents de Etats-Unis, à savoir, de la gauche vers la droite: George Washington, Thomas Jefferson, Theodore Roosevelt et Abraham Lincoln. Chacun étant censé incarner une des vertus américaines.

Il faut l'avoir vu une fois dans sa vie, mais une fois devrait être suffisante. Un seul conseil: si vous ne voulez pas avoir un contre-jour désastreux, n'y allez pas en fin d'après-midi en été. On l'a fait. On s'en mord les doigts. Choisissez plutôt le matin. Et si vous êtes allergiques au bourrage de crâne patriotique et à l'autocélébration américaine, n'assistez surtout pas à la cérémonie d'illumination nocturne, à moins d'être doté d'un solide sens de l'humour et d'arriver à rire INTERIEUREMENT, histoire de ne pas se faire lyncher par les patriotes indignés.

Nicolas a particulièrement apprécié cet épisode, comme vous pouvez le constater en lisant sa page.

Juste avant le Mont Rushmore, nous avons également visité le Parc National des Badlands. Ce parc se trouve à la jonction entre la Prairie de l'Est et celle de l'Ouest, qui sont situées sur des strates géologiques différentes. Le soubassement de la Grande Prairie est en effet argileux, et deux niveaux plus résistants que les autres forment le plancher des deux prairies. Entre celle de l'Est, d'altitude inférieure, et celle de l'Ouest, plus élevée, les strates très fragiles sont lessivées par les orages, formant une sorte de "mur" au relief tourmenté, très difficile à franchir autrefois par les pionniers qui allaient vers l'Ouest.

Ces reliefs sculptés par l'érosion forment des figures très belles, surtout à la lumière rasante du matin ou du soir. De plus, sur les prairies situées de part et d'autre de ces Badlands (mauvaises terres), on peut voir quantité d'animaux sauvages tels que l'antilope pronghorn (Antilocapra americana),

des cerfs appelés "Mule deers", à cause de leurs longues oreilles qui les font ressembler à des mules, des Chiens de prairie qui forment de véritables villes souterraines, quelques bisons, des coyotes et des renards roux... Eh, oui! On a pu voir tout ça rien qu'en traversant le parc et en admirant le paysage, vraiment magnifique.

Pour ceux qui s'intéressent à l'histoire tourmentée des Indiens d'Amérique, ce parc est situé à 65 miles au Nord de Wounded Knee, lieu de la dernière bataille sanglante entre Blancs et Amérindiens, ou disons plutôt du dernier massacre d'Amérindiens par les Américains. Plus de 200 indiens tués, dont des femmes, des enfants, des vieillards... Dans sa fuite vers le Sud, la petite troupe qui devait connaître cette fin tragique est passée à travers ce qui est aujourd'hui le Parc des Badlands. Parmi eux se trouvait le chef Bigfoot, déjà blessé, qui devait mourir quelques jours plus tard lors du massacre...

En poursuivant vers l'Ouest à partir du Mont Rushmore, on entre bientôt dans le Wyoming, là où le vent caresse en permanence la Grande Prairie. C'était le domaine des Indiens des Grandes Plaines, en particulier des diverses tribus de Sioux. Ceux qui ont aimé "Danse avec les loups", le magnifique film de Kevin Costner, seront heureux de savoir qu'on ressent très bien ici cette atmosphère un peu magique de liberté et de grandeur. Située sous le vent des montagnes rocheuses, ces vastes étendues sont trop arides pour porter des forêts, mais le bel écosystème des Grandes Prairies était d'une richesse inouïe. Ce qu'on ressent ici, c'est très loin du folklore un peu niais que le gens de l'Est entretiennent à propos de ceux de l'Ouest, péquenauds mal dégrossis qui chanteraient à tue-tête: "Oh Give me a home, where the Buffalo roam, and the Deer and the Antelope play..."

Evidemment, sur un océan d'herbe sans limites, le vent s'en donne à coeur joie, et si les herbes, tels le roseau de la fable, se courbent gracieusement sous sa caresse, les objets durs et rigides fabriqués par l'homme y résistent moins bien. Ainsi, pris dans un soudain coup de vent, notre camping-car a, dans un craquement sinistre, perdu définitivement son auvent, que nous avons dû démonter et attacher sur le toit, en attendant de pouvoir le jeter ou le réparer, selon l'option choisie...

Viviane qui le matin même avait prétendu parler avec le vent et lui avoir demandé de souffler (les indiens l'auraient baptisée "Parle Avec Le Vent") n'a pas vraiment réussi à le calmer, mais c'est bien connu: qui sème le vent...

Près des rivières et des points d'eau où s'accumule l'eau de la fonte des neiges poussent de magnifiques Peupliers d'Amérique, des "Cottonwoods".

Le vent fait bruire leurs feuilles en permanence, dans un miroitement envoûtant. Vous aurez compris, je suppose, que si vous n'aimez pas le vent, il vaut mieux ne pas visiter le Wyoming...

A l'Est du Wyoming se trouve Devils Tower, montagne sacrée pour les indiens (voyez la légende de sa formation dans la page de Viviane). C'est là que se produit la "rencontre du 3ème type" avec les extraterrestres du film de Steven Spielberg. Les cinéphiles apprécieront: il n'est pas désagréable de marcher dans les traces de Spielberg et de Kevin Costner.

Puis, encore plus à l'Ouest, on parvient aux premières chaînes montagneuses des Rocheuses. Pour se rendre au Parc de Yellowstone, on traverse d'abord les Big Horn Mountains. En altitude, la pluie permet aux prairies d'être verdoyantes (alors que, plus bas, la sécheresse a fait jaunir les herbes). Les fleurs sont si nombreuses qu’elles forment des tapis colorés en bleu ou en jaune du plus bel effet. Personnellement, c'est la première fois que je vois des prairies entièrement bleues... Les torrents dévalent les pentes, sur leur lit de cailloux, les grillons chantent à qui mieux mieux... Les forêts de sapin embaument...

Nous avons eu la chance d'apercevoir 3 orignaux (encore appelés élans d'Amérique), deux mâles, une femelle, qui broutaient tranquillement dans une vallée non loin de la route.

Puis, en redescendant sur l'autre versant, la route se glisse dans un canyon impressionnant, aux parois d'un rouge éclatant. Tout en bas du canyon, le cours d'eau scintille dans son écrin de verdure: on y trouve, encore une fois, les Cottonwoods, superbes peupliers au feuillage miroitant, et également une quantité d'arbustes, de buissons et de fleurs.

Après la vallée où se trouve la ville de Cody, fondée par William Cody, alias Buffalo Bill, on remonte dans les hauteurs pour gagner enfin le Parc national de Yellowstone. Une bonne partie du Parc se trouve sur une ancienne caldeira, provenant de l'effondrement ayant suivi une gigantesque explosion volcanique. C'est pourquoi la région est riche en phénomènes thermaux (fumerolles, geysers, mares de boue...).

Un grand lac occupe également une partie de la caldeira. Il est suffisamment grand pour que le vent y crée de petites vagues qui viennent battre régulièrement le rivage. On se croirait presque au bord de la mer, seule manque l'odeur du sel... C'est une curieuse sensation que de se retrouver bercé ainsi par le bruit des vagues, alors qu'on se trouve à plus de 2000 mètres d'altitude. L'air a la pureté et la limpidité de la haute montagne, le ciel est d'un bleu éclatant et le soleil chauffe agréablement la peau. Le tout inspire une profonde sérénité.

Le Parc de Yellowstone est vraiment un joyau. Il allie la diversité et la beauté des phénomènes thermaux à la diversité et la beauté de la vie sauvage. Bien qu'il ait été le théâtre d'un des plus gigantesques incendies de l'Ouest américain, il y a de cela quelques années, il reste une merveille d'harmonie et de magnificence. Premier Parc National jamais créé de par le monde, il a ouvert la voie à toute la politique ultérieure de conservation de la nature. Il a été le premier acte posé qui reconnaissait le droit, pour les générations futures, à recevoir en héritage une Terre vivante, riche, préservée de l'exploitation à court terme. En tant que tel, il est un symbole. Un magnifique symbole.

Viviane a choisi de vous parler des animaux du Parc, et Luc des geysers. Alors moi je ne vous parlerai plus de rien... Sinon pour vous dire que si une visite à Yellowstone ne vous réconcilie pas avec la vie, alors, je ne sais pas ce qui pourrait le faire...

Amitiés à tous.

Semaine du 30 juin au 6 juillet 2002
La même semaine vue par Viviane Nicolas Luc


Semaine du 7 au 13 juillet 2002
La même semaine vue par Viviane Nicolas Luc

Regards croisés

Cette semaine, pour changer un peu, je vais aborder des sujets consensuels, ne prêtant à aucune polémique. En effet, j'en ai assez de recevoir des courriels incendiaires de gens qui se plaignent de ma partialité et de mon prosélytisme. A force de vanter les beautés de la nature intacte, vierge et préservée, à force de clamer mon admiration pour la beauté des paysages sauvages, je me fais traiter de foutue écologiste, de réactionnaire voulant retourner à la bougie, etc.

Donc, pour éviter toute polémique, je vais traiter de sujets sans risques. Nous allons donc aborder ici la différence (évidente) entre les religions et les sectes.

Nous avons visité en début de semaine la ville de Salt Lake City. Le Guide du Routard, que nous consultons occasionnellement, nous informe que cette ville a été fondée en 1847 par Brigham Young, prophète de la secte des Mormons. Suit une description de l'origine et des croyances de cette secte. Et enfin on nous informe qu'ici, aux Etats-Unis, on ne parle pas de secte mais de minorité religieuse. D'où une certaine perplexité de ma part. Quelle est la donc différence entre une secte et une "minorité religieuse", et a fortiori avec une religion?

Peut-être l'histoire des Mormons pourra-t-elle nous éclairer un peu sur cette subtile question de vocabulaire. Les Mormons sont connus à travers le monde à cause de leur immense bibliothèque généalogique parfois appelée "les archives de l'humanité". En dehors de cela, le commun des mortels sait très peu de choses sur eux, à moins d'avoir poussé un peu ses recherches personnelles. Moi, je n'y connaissais rien, mais je suis très curieuse. Alors, puisque nous étions à Salt Lake City, j'ai eu envie d'en savoir plus.

Il n'y a guère, mon frère Dimitri m'envoya quelques réflexions dont une me fit beaucoup rire (merci Dimitri!). Je vous la livre:

"Il y a deux catégories de gens, ceux qui classent les gens en deux catégories et les autres."

C'est profondément vrai. Et je fais partie de la première catégorie. Je considère qu'il y a deux catégories de gens: ceux qui, confrontés à une idée, un comportement, un être humain qu'ils ne comprennent pas de prime abord, parce qu'il exprime une opinion différente de la leur, cherchent à connaître ce point de vue différent, à le comprendre, et trouvent cette approche enrichissante pour eux-mêmes. J'espère faire partie de cette catégorie. Je vais les appeler "les empathiques".

Et puis il y a l'autre catégorie: ceux qui, confrontés à une opinion différente de la leur, réagissent, ouvertement ou non, par le rejet, le mépris, la moquerie et le persiflage. Faute de mieux, je les appellerai "les persifleurs". J'espère en faire partie le moins souvent possible.

A propos des Mormons, j'ai commencé mon approche en lisant le Guide du Routard. Je vous en cite quelques extraits:

Difficile de résumer le contenu de ce gros bouquin (le livre de Mormon), incroyable bricolage spirituel basé en grande partie sur la Bible. (...) L'écrivain Mark Twain le considérait comme un plagiat insipide et ennuyeux du Nouveau Testament... "Que Joseph Smith ait composé ce livre, et surtout qu'il ne se soit pas endormi en le dictant, voilà le miracle!"

"Joseph Smith, le fondateur, avait une petite particularité: il adorait les femmes. "Chaque fois que j'aperçois une jolie femme, je rends grâce au Seigneur", affirmait-il. Aussi s'empressa-t-il d'instaurer la polygamie dans sa religion."

Alors, selon vous, dans quelle catégorie devons-nous classer les auteurs du Guide du Routard? Partant du principe si souvent vérifié que "ce que Pierre dit de Paul en dit plus sur Pierre que sur Paul", j'ai laissé de côté le Guide du Routard pour entreprendre la visite de Temple Square, petite enclave au centre de Salt Lake City, qui comporte le Temple des Mormons, plusieurs salles de réunion et deux "Visitor's Centers".

Les Mormons peuvent, s'ils le souhaitent, consacrer environ 2 ans de leur vie pour être des missionnaires de leur Eglise. Dans le détail, les garçons effectuent leur missionnariat vers l'âge de 18-19 ans, et il dure deux ans. Les filles le font vers 21-22 ans, et il dure 18 mois. Pendant ces années, les missionnaires ne sont pas payés et doivent payer eux-mêmes leurs frais de voyage, d'hébergement, de nourriture... A Temple Square, ce sont des jeunes filles missionnaires qui accueillent le public et leur font découvrir les différents bâtiments, et toute liberté est laissé au Visiteur de s'en tenir à une écoute plus ou moins distante, ou d'engager le dialogue et de poser toutes les questions qui lui brûlent les lèvres...

Je ne voudrais pas trahir le propos des Mormons, et c'est difficile de retransmettre une information de façon exacte quand on ne la maîtrise pas bien. Mais je voudrais dire ce qui m'a paru essentiel, étant entendu que n'étant pas moi-même Mormone, mes propos n'engagent que moi. Ce qui m'intéresse, ici, c'est de voir comment un même fait peut être considéré, selon le point de vue de celui qui s'exprime. D'où le titre de ma page cette semaine: regards croisés...

Le Mormonisme a été fondé par Joseph Smith, qui a publié en 1830 le Livre de Mormon. Agé de 25 ans, il déclarait être prophète de Dieu, et avoir traduit, sur son appel, des plaques d'or remises par un messager, l'ange Moroni. Ce qui évidemment fait beaucoup rire les gens du Guide du Routard. Un petite précision cependant: à l'époque où Joseph Smith créa sa secte, les Protestants de la Nouvelle-Angleterre étaient tous en train de se répartir, avec force querelles agressives, entre les diverses sectes qui divisent encore aujourd'hui les Protestants américains: Méthodistes, Presbytériens, Baptistes... La différence entre Smith et les autres, c'est que Smith déclarait avoir reçu directement la parole de Dieu, il était donc un prophète. Et donc, il fut bien entendu soumis à toutes sortes de persécutions, là-dessus, le point de vue des Mormons rejoint celui du Guide du Routard. Alors que les autres sectes s'en tenaient entre elles à des querelles pouvant conduire tout au plus à l'exclusion de certains de ses membres ou à la scission en deux nouvelles sectes, les Mormons furent réellement persécutés, chassés, emprisonnés, tués, massacrés... Joseph Smith lui-même mourut en 1844, ainsi que son frère, abattus à coups de fusil par une foule vociférante, alors qu'ils attendaient leur procès sous la "protection" de l'Etat...

Après avoir bien réfléchi, je pense que le plus grand tort des Mormons est d'avoir cru que Dieu pouvait s'adresser à un homme, de surcroît un très jeune homme (14 ans lors de la première révélation), pauvre et peu instruit. Cela a pu se faire autrefois, bien sûr, et cela, tous les Chrétiens, qu'ils soient Protestants, Catholiques ou Orthodoxes, le clament haut et fort dans chacune de leurs cérémonies. Ils lisent les paroles transmises par des Prophètes qui vécurent autrefois, il y a plus de 2000 ans, et nul ne doute que ce soit la parole de Dieu. Mais tout le monde sait bien que si Dieu parlait autrefois à des bergers, à des pêcheurs, à des paysans, il ne le fait plus depuis bien longtemps (peut-être est-il fatigué de parler?). Donc, non seulement Nul n'est prophète en son pays, mais de plus Nul n'est prophète dans son époque...

Les Mormons (ah, au fait, le véritable nom de leur Eglise est "l'Eglise de Jésus-Christ des Saints des derniers Jours") ont des Prophètes contemporains. En fait, ils ont un Prophète et Douze apôtres. Lorsque le Prophète meurt, les douze apôtres prient ensemble et c'est Dieu qui leur révèle qui est le prochain Prophète.

Je n'en dirai pas plus, car je n'ai pas étudié en détail leur doctrine. Je devrais recevoir à mon retour en France un exemplaire du Livre de Mormon pour décider par moi-même s'il s'agit d'un "incroyable bricolage spirituel basé en grande partie sur la Bible", ou non.

A ce stade de mes réflexions, je pense commencer à comprendre la différence entre une secte et une religion. C'est assez simple. Imaginez un homme à qui Dieu se met à parler.

Premier cas de figure: cet homme est bien content que Dieu lui parle, mais il garde ça pour lui. Il n'en parle pas, à personne (ou presque). Cet homme est NORMAL. C'est peut-être vous...

Deuxième cas de figure: l'homme en parle à d'autres, et personne ne le croit. Cet homme est FOU. Si sa folie ne semble pas menaçante, on le laisse tranquille, sinon on l'enferme, pour son bien, dans un asile psychiatrique.

Troisième cas de figure: cet homme en parle, et certaine personnes le croient: c'est un GOUROU, et ceux qui le croient font partie de sa SECTE.

Quatrième cas de figure: Au lieu de quelques personnes, la secte comporte maintenant plusieurs millions d'adeptes de par le monde: cet homme est le CHEF SPIRITUEL d'une MINORITE RELIGIEUSE.

Avec un peu de chance, les adeptes de cette minorité religieuse s'installent dans un territoire désertique dont personne ne veut, y construisent leur ville, leur temple, et fondent un Etat des Etats-Unis où, encore aujourd'hui, plus de la moitié des gens sont Mormons, et la minorité religieuse devient MAJORITE, pour ne pas dire RELIGION d'ETAT.

Il s'agit là d'un glissement sémantique fort intéressant. Car, pour ceux qui n'ont pas bien suivi, je précise qu'il s'agit du même homme et des mêmes idées. La différence entre une secte et une religion m'apparaît donc clairement: c'est le regard des autres qui fait la différence. Rien de plus. Et comme je l'ai déjà évoqué, "ce que Pierre dit de Paul en dit plus sur Pierre que sur Paul..."

J'entends quelques dents qui grincent. Tant mieux, j'adore ça!

Dans un tel contexte, ce qui me préoccupe c'est d'essayer de transmettre à mes enfants un certain message à propos de la tolérance et du respect des autres. A cet égard, le film que nous avons pu visionner au Visitor's Center était très éloquent. A trois reprises en effet, on y voit une foule vociférante, armée de torches, de bâtons et de fusils, envahir une petite communauté, tuer quelques hommes, enfoncer à coups de hache les portes et les fenêtres, mettre le feu aux maisons, puis enjoindre aux survivants de se casser de là vite fait... Lesquels, à votre avis, de la foule vociférante ou des personnes maltraitées, étaient les fidèles d'une religion? Lesquelles étaient les adeptes d'une secte? Envoyez moi votre réponse sur courriel, et je verrai dans quelle catégorie de gens je peux vous classer: les empathiques, ou les persifleurs...

P.S.: pour vous aider à abandonner vos idées sectaires sur le "sectarisme", je vous informe qu'il existe un excellent auteur de science-fiction, capable de décrire des systèmes de pensée très différents du nôtre (pauvres humains) avec une grande faculté d'empathie. Cet auteur s'appelle Orson Scott Gard (sous réserves, Nicolas a un trou de mémoire), et il est Mormon.

Semaine du 7 au 13 juillet 2002
La même semaine vue par Viviane Nicolas Luc


Semaine du 14 au 20 juillet 2002
La même semaine vue par Nicolas

Le peuple des canyons...

Nous avons visité un certain nombre de Canyons, ces derniers temps... Tout le monde connaît bien sûr le Grand Canyon du Colorado, qui est comme son nom l'indique le plus grand des canyons: 16km de large, 1600m de profondeur... Il faut en moyenne deux jours pour descendre depuis la rive nord (North Rim) jusqu'au fond et une journée pour remonter par la rive sud (South Rim)... Mais le Grand Canyon est loin d'être le seul.

En réalité, les canyons abondent dans tout le Plateau du Colorado, une vaste étendue de roche soulevée par des jeux de failles en de nombreux blocs d'altitudes variées. Ce Plateau s'étend à cheval sur les frontières de 4 Etats: l'Utah, le Colorado, le Nouveau-Mexique et l'Arizona. La ligne de partage des eaux entre le Pacifique et l'Atlantique passe au milieu de ce vaste plateau, et de nombreux canyons entaillent ses flancs, rayonnant tout autour de lui...

Chacun a ses caractéristiques, et souvent, son charme particulier. Mais, en plus, ces canyons recèlent souvent des vestiges d'une civilisation intrigante qu'on a longtemps cru disparue, à tort semble-t-il.... Laissez-moi vous en toucher un mot.

Au début du XXème siècles, trappeurs, explorateurs, chercheurs d'or et autres pionniers qui s'aventurèrent dans les gorges étroites de ces canyons eurent la surprise d'y découvrir de véritables villes enchâssées verticalement dans des abris sous roches... Les Navajos, qui occupaient et occupent encore une vaste zone au Sud du Plateau du Colorado attribuaient ces ruines aux "Anasazi", ce qui signifie en langue Navajo "le peuple ancien qui n'est pas nous". Les Américains reprirent ce nom et on étudia avec beaucoup d'intérêt cette culture qui avait atteint un haut degré de développement.

L'apogée de cette civilisation se situe entre les années 1100 et 1300. A cette époque, les Anasazi construisaient des villes importantes selon un plan établi à l'avance (autrement dit avec une réelle architecture), tiraient le maximum de leur terre en pratiquant l'irrigation pour cultiver maïs, courges et haricots, avaient domestiqué le chien et la dinde, et entretenaient des relations commerciales avec des peuples aussi éloignés que ceux du Golfe du Mexique et de la côte du Pacifique. J'aime particulièrement leur poterie, décorée le plus souvent de délicats motifs noir sur blanc. Ils gravaient également toutes sortes de dessins sur les parois des canyons, que l'on a appelés des pétroglyphes. Beaucoup représentent des animaux aisément identifiables, d'autres des personnages, d'autres enfin sont plus abstraits.

Leur habitat était constitué de deux sortes des pièces, les pièces d'habitation, qui comportaient un foyer central et un trou d'évacuation de la fumée, et des pièces pour le stockage de la nourriture, essentiellement les grains de maïs. Ces pièces étaient scellées par de larges rochers plats pour les protéger des rongeurs. Bien sûr, ces pièces peuvent paraître assez rudimentaires, mais on sait que les Anasazi prenaient la peine de blanchir les murs et de les décorer avec des sortes de frises. Un coup d'oeil à leur poterie suffit d'ailleurs à constater qu'ils avaient le sens de la beauté.

Vers l'an 1300, tous les villages Anasazi du Plateau du Colorado furent abandonnés par leurs habitants... Ce qui resta longtemps le plus grand mystère en ce qui les concerne. On pensa d'abord à un issue violente: des tribus venues du Nord les auraient chassés. Mais, en fait, dans aucun site archéologique on n'a trouvé de traces évidentes de violences, encore moins de guerre. Alors quoi?

La réponse fut donnée grâce à la dendrochronologie. Comme son nom l'indique, il s'agit d'une méthode de datation grâce aux arbres, plus particulièrement grâce aux anneaux de croissance des arbres. Chaque année en effet, les arbres croissent en épaisseur. Chacun sait qu'on peut compter l'âge d'un arbre en comptant les "cernes" de son tronc, une fois qu'il a été abattu. Ce qu'on sait moins, c'est que l'épaisseur de l'anneau de croissance dépend des conditions météorologiques de l'année en question. Ainsi, les années de sécheresse se manifestent par un anneau très mince, les années de bonne pluviosité par un anneau beaucoup plus large.

Cette méthode permet, en remontant dans le temps avec des arbres de plus en plus âgés, de connaître la date de naissance d'un arbre et sa date de mort, ce qui a permis des datations, à l'année près, des constructions Anasazi. Mais, en plus, la dendrochronologie a permis de constater que les Anasazi ont subi 24 années de sécheresse consécutives, juste avant leur départ. Quand on sait qu'en ce moment, la région de Mesa Verde, où se trouvent réunis plus de 600 sites Anasazi, subit une sécheresse depuis 5 ans seulement et que les autorités considèrent qu'une année de plus de sécheresse contraindra tous les habitants de la région à partir, faute d'eau, on peut comprendre les conséquences pour les Anasazi d'une sécheresse de 24 ans...

Mais où étaient-ils donc partis? On a longtemps cru qu'ils avaient purement et simplement disparu, mais la réponse est venue progressivement, suite à des échanges avec une population d'Indiens particulièrement difficile à connaître: les Hopis, qui vivent dans des Mesas (de l'espagnol "table", montagnes à sommet plat) en Arizona. La réserve Hopi est enchâssée à l'intérieur de la réserve Navajo, mais contrairement aux Navajos qui sont assez largement ouverts au tourisme, les Hopis se protègent de toute intervention extérieure sur leur culture: ils donnent peu d'informations sur leur coutumes, interdisent toute prise de photo, de film, et même de notes sur leur territoire... Ils ne veulent rien dire ou presque de leurs pratiques religieuses, auquel aucun étranger n'a le droit d'assister...

Cependant, vraisemblablement dans le but d'assurer un plus grand respect pour leurs lieux sacrés, ils ont fini par révéler que les Pétroglyphes des Anasazi comportaient des motifs qu'ils reconnaissaient comme ceux des divers clans Hopis.

Et que leur tradition orale leur enseignait qu'ils vivaient autrefois plus au Nord, et s'étaient dispersés... Certaines chambres rondes au rôle énigmatiques trouvées dans les villages Anasazi ont leur équivalent chez les Hopis. Ils les appellent "Kivas", et elles servent à certaines réunions sociales ainsi qu'à certaines cérémonies religieuses. Chaque village en possède autant qu'il y a de clans distincts...

Ainsi les Anasazi n'ont pas purement et simplement disparu. Ils se sont déplacés vers le Sud, et sont les ancêtres non seulement des Hopis de l'Arizona, mais aussi des Indiens Pueblos qui vivent sur le bord du Rio Grande, au Nouveau-Mexique. Malheureusement, la région du Rio Grande recelait de l'or, de l'argent, et les Conquistadores s'y établirent rapidement, évangélisèrent les Indiens Pueblos, dont la culture originelle a été complètement effacée.

Inutile de dire que je brûlais d'envie de rendre visite aux Hopis. Je n'aurais pu me servir que de mes yeux et mes oreilles pour vous rapporter des bribes de ce que j'y aurais vu et entendu, mais cette population assez culottée pour se défendre ainsi de toute dérive mercantile m'attire comme l'aimant attire le fer. Hélas, il règne en ce moment une chaleur accablante, et après une journée particulièrement pénible où la lutte contre la chaleur tenait plus de la survie que du simple confort, personne parmi nous n'avait le goût de remettre ça. Les Mesas des Hopis siègent en plein milieu du désert de l'Arizona. Mieux vaut y revenir en hiver...

De toutes façons, il faut toujours en garder pour plus tard... Ce sera pour une autre année, dans une autre saison, et en d'autres circonstances. Mais je n'ai pas l'intention de quitter ce monde avant d'avoir été à la rencontre des Hopis!

Amitiés à tous...

Semaine du 14 au 20 juillet 2002
La même semaine vue par Nicolas



En guise d'épilogue

Le journal de ce voyage s'arrête ici. Nous avons interrompu notre voyage après la visite du Grand Canyon et nous ne l'avons pas repris à ce jour... Pour savoir ce que nous sommes devenus ensuite, vous pouvez consulter les rubriques ad hoc!

Selon Sophie
Pour le meilleur et pour le pire
Depuis notre retour
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